reportage documentaire

Geneviève Roger au Tedx 2013


Video de ma conférence TEDx sur les mots d'ordre

14 minutes
Paris Vaugirard



Ma tribune dans le Huffingtonpost


Nous avons tous, un jour ou l'autre, fait l'expérience des mots qui peuvent blesser, abîmer, détruire, mais aussi des silences et de l'indifférence. Leur impact est perceptible au moment même où les mots sont prononcés ou tus. De la "griserie sadique" au coup de poignard reçu dans le coeur selon que l'on a endossé le rôle du bourreau ou celui de la victime. "Prenez garde aux choses que vous dites, Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes, Tout, la haine et le deuil!", nous dit Victor Hugo dans son poème Le mot. Qu'en est-il des mots d'ordre, ces mots, déjà chargés de tant de pouvoirs, qui se réclament d'un ordre censé les métamorphoser d'un coup en maîtres à penser? Selon la manière dont l'être humain use ou non de son libre arbitre face à cette association redoutablement puissante que forment le mot et l'ordre, le mot d'ordre peut provoquer autant de ravages que de merveilles.


Obligation collective

Certains mots d'ordre ont traversé les siècles: sans doute le plus célèbre des Dix Commandements, "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" a gardé intact son caractère sacré tant il place haut la barre de l'élévation de l'âme humaine. Mais a-t-il pour autant rendu le monde meilleur? D'autres sont plus récents comme "Achetez français", une injonction économique qui n'a pas résisté aux lois du marché ou "Faites l'amour pas la guerre" qui a changé les repères d'une époque, sans toutefois parvenir à faire reculer la violence. Le plus souvent, les mots d'ordre, dont la visée est d'améliorer le monde n'ont pas obtenu les résultats escomptés, tandis que d'autres, prônant la haine (comme le tristement célèbre "Interdit aux Juifs" durant la deuxième guerre mondiale) furent davantage suivis d'effets. Notre monde déborde d'exemples de mots d'ordre de rejet, d'exclusion, de haine, dont l'efficacité fait ses preuves tous les jours. Serait-il donc plus facile de se laisser convaincre de détester plutôt que d'aimer? Si l'obéissance à un ordre moral est une condition de la liberté, l'homme libre se doit inlassablement d'interroger et les mots, et l'ordre dont ils se réclament: sont-ils justes ou injustes? Et dans ce dernier cas, d'y résister infatigablement, au plan intime comme en société. C'est ce que signifie Gabriel Garcia Marquez quand il affirme "Le prix de la liberté c'est la vigilance éternelle". Et la liberté est probablement la condition sine qua non pour que le monde avance vers la tolérance, la générosité, la bienveillance et l'ouverture. Obligation individuelle La question qui se pose tous les jours à chacun d'entre nous est de savoir si nous exerçons bel et bien notre vigilance à préserver notre liberté. Dans les petits actes de la vie quotidienne, il nous arrive bien souvent d'abdiquer notre liberté. Par paresse? Par manque de courage? Parce que nous sommes fatigués, ou endormis? Au niveau individuel, sommes-nous libres quand nous cessons d'adresser la parole à un collègue de bureau au prétexte qu'un de nos amis nous a donné un avertissement du genre: "Celui-ci, oublie-le, c'est un connard!". À quoi ressemble notre liberté dans ce cas? Pour résister au mot d'ordre "Oublie-le, c'est un c...... !", une grande vigilance et un véritable courage s'imposent. Ce n'est pas l'option la plus simple, elle demande un travail, un effort, une prise de risque. Il s'agit peut-être de discuter avec le supposé "c......", s'efforcer de comprendre son point de vue, son besoin, et d'être empathique à son égard - c'est un travail! Il s'agit aussi, et même surtout, de résister à l'ami qui préférerait tellement nous voir adhérer sans broncher à son verdict et qui s'inquiète et peut-être se fâche de ne pas trouver le bon petit soldat servile qu'il voyait en nous. Mais n'est-il pas plus satisfaisant de savoir que notre avis est bien le nôtre et non celui de l'autre qui cherche à imposer son mot d'ordre et à nous manipuler? On peut aller plus loin en apportant à celui qui cherche à nous influencer la compréhension qu'il mérite. Dans son verdict sans appel "C'est un c.....!", c'est sa propre peur qui s'exprime, son ego se sent malmené. En faisant l'effort de l'entendre, nous lui apportons, si ce n'est notre assentiment, du moins une compréhension qui permettra non seulement d'éviter la rupture de la relation, mais aussi d'encourager le choix d'une position médiane. Nous pourrons aller plus loin encore si, chaque fois que nous sommes tentés par l'envie d'exclure ou d'enfermer l'autre dans un jugement ou d'utiliser contre celui qui nous dérange un mot d'ordre destructeur, nous osons identifier, en nous, quel besoin inassouvi cherche ainsi à s'exprimer. Sur le plan collectif, les mots d'ordre appliqués à la lettre sans l'exercice du libre arbitre conduisent tout droit au fanatisme ou à la barbarie. L'exemple du Rwanda en offre une sombre illustration. Que s'est il passé dans ce petit pays d'Afrique pour qu'une folie meurtrière inouïe s'empare ainsi de ses habitants? Entre le 6 avril et le 4 juillet 1994, 800.000 à 1 millions de personnes ont été massacrées au seul motif de leur identité tutsi. Dix-mille morts par jour, tués sans armes de destruction massive, principalement à la machette. Un record historique: au pire de la solution finale, le régime nazi n'a jamais eu cette funeste "productivité". Un million de morts dans des conditions d'atrocités qui dépassent l'imagination. Pourquoi? Parce que des mots d'ordre, relayés par les autorités locales, ont qualifié des décennies durant les Tutsi de "cancrelats", ou autres "serpents", et que face à ces injonctions à peine déguisées à l'extermination de cette "vermine" soi-disant nuisible, les populations locales n'ont pas pu, pas su exercer leur libre arbitre. Les magnifiques ouvrages de Jean Hatzfeld Dans le nu de la vie, Une saison de machettes et La stratégie des antilopes montrent cette soumission quasi inconditionnelle à l'autorité qui a transformé en bourreaux sanguinaires et inconscients des cultivateurs jusqu'alors paisibles. Des mots d'ordre auxquels nous obéissons passivement dans notre quotidien au "Tuez les tous!" qui fut lancé au Rwanda en 1994, il n'y a qu'un pas. Il s'agit de la même mécanique et ce sont là les deux extrémités d'un même processus: d'un côté, l'exclusion d'un individu par les mots, avec l'envie, inconsciente parfois, de l'éliminer psychiquement, de l'autre, l'extermination de tout un peuple par l'obéissance aveugle à des mots d'ordre pourtant proprement inhumains.


Quelles attitudes adopter?

Evidemment, ne rêvons pas. À supposer que nous soyons capables de ces efforts pour exercer notre libre arbitre, les émotions et les sentiments négatifs ne disparaîtront pas pour autant. Ce qui peut changer en revanche, c'est la manière de les exprimer et celle dont ils seront reçus. Ces petits progrès que chacun peut faire pour exprimer son ressenti sont porteurs d'un grand espoir: celui d'éviter l'agression et donc, par ricochet, de diminuer la violence dans la relation à l'autre et plus généralement dans le monde. Imaginons une seconde qu'après avoir identifié en son for intérieur, avec une absolue sincérité, le véritable sentiment qui nous traverse quand le rejet de l'autre nous démange, nous soyons capables d'exprimer exactement notre ressenti (la peur, la jalousie, l'agressivité, etc.) et notre besoin (amour, respect, sécurité, soutien, compréhension, etc. ), il est fort probable qu'alors la tournure des événements serait différente. Au lieu de: "Tu es un crétin, tu me gonfles!", la réponse conflictuelle au mot d'ordre d'exclusion pourrait devenir quelque chose du genre: "Je ne suis pas du tout d'accord avec toi, je suis agacé, j'ai besoin de comprendre, je te demande du temps avant de poursuivre...". Certes, le changement que nous appelons de nos voux ne tombera pas du ciel. Il y va de notre responsabilité et l'engagement qu'il requiert est de chaque instant. Il ne suffit pas, pour encourager le progrès humain, de se reposer sur le système éducatif ou le confort social, ni, on l'aura compris, sur ceux à qui on attribue l'autorité. Bien sûr, l'éducation est essentielle, mais il est un autre pilier du changement: la connaissance de soi - le fameux "connais-toi toi-même" de Socrate, qui dispose aujourd'hui d'un grand nombre d'outils malheureusement encore réservés à des initiés ou à des individus en quête de spiritualité. Tous les moyens sont bons (selon les besoins de chacun) pour avancer vers une meilleure connaissance de soi, et ces moyens sont multiples, de la psychanalyse aux innombrables psychothérapies, de la Programmation Neuro Linguistique à la Communication Non Violente telle que Marshall Rosenberg l'a consignée dans Les mots sont des fenêtres et parfois des murs... Il s'agit d'autant d'outils qui permettent de décoder et de comprendre nos angoisses, nos souffrances, nos frustrations, nos dysfonctionnements et ceux des autres, et ce faisant de les atténuer, les soulager, les accepter et donc se pacifier intérieurement, condition nécessaire à une pacification possible de la relation à l'autre. Renoncer à la connaissance de soi ou la refuser au prétexte que "Je suis comme ça, je ne changerai pas!", c'est choisir délibérément de se soumettre à des mots d'ordre hérités et/ou inconscients, à des croyances "limitantes", que nous nous appliquons mécaniquement et qui sont les véritables obstacles au progrès de l'humanité. Le seul mot d'ordre qu'il serait bon d'appliquer en toutes circonstances est donc "Interrogeons nos mots d'ordre", ceux que nous générons, ceux que nous relayons, ceux auxquels nous obéissons. Examiner tout ce qui nous amène à des conduites de pantins, dont les ficelles sont tirées par l'inconscient, une croyance ou une autorité supposée, c'est faire acte de connaissance de soi. Questionnons sans relâche nos propres mots d'ordre, nos certitudes, jusqu'à mettre à jour les vulnérabilités, les peurs et les besoins fondamentaux qui se cachent derrière eux. Alors peut-être, les conditions d'un véritable progrès personnel et social seront réunies. Apprenons à nous connaître et surtout aidons nos enfants à s'intéresser dès le plus jeune âge à leur développement personnel. Le savoir et le savoir-faire ne suffisent pas, il est temps d'apprendre le "savoir-être" et de le transmettre aux plus jeunes. Voilà une condition essentielle à mes yeux pour nous permettre de progresser vers un monde capable de résister aux barbaries, celles du quotidien comme celles des génocidaires. Le développement personnel est un axe majeur. Ses outils, même s'ils sont imparfaits, offrent la possibilité d'activer en nous l'envie d'être meilleurs et de tracer pas à pas un chemin pour y parvenir.